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de sentiments et de volupté, » disait-il, — De telles maximes supposent bien de l’oisiveté, du raffinement, et tout un art que nos âges de lutte et de labeur ont peine à comprendre. Dans une Épître à son ami La Fare, où il se peint au naturel avec ses qualités et ses défauts, Chaulieu se montre positif pourtant par un coin essentiel :

Noyé dans les plaisirs, mais capable d’affaires,


dit-il. Ceci nous ramène à sa position chez les Vendôme et à quelques paroles fâcheuses de Saint-Simon.

Saint-Simon accuse nettement Chaulieu d’avoir abusé de la confiance du duc de Vendôme, et d’en avoir profité pour lui-même. Les deux frères de Vendôme, le duc et le grand-prieur, avaient longtemps vécu en commun, et Chaulieu était leur favori, leur conseil ; c’était une grave responsabilité au milieu d’un tel désordre. À un moment, cette union étroite des deux frères cessa ; le duc se sépara du grand-prieur, et Chaulieu suivit la fortune de ce dernier. Sans essayer d’entrer dans un éclaircissement impossible à cette distance, il est à remarquer seulement que si Chaulieu eut des torts, il les partagea tout à fait avec le grand-prieur, et que ce dernier et lui furent de concert, faut-il dire de complicité ? La liaison de Chaulieu et du grand-prieur de Vendôme ne se démentit à aucune époque. Chaulieu ne quitta presque pas un jour, dans ses dernières années, le prince qu’il appelait son bienfaiteur et son ami, et avec qui il vivait depuis quarante ans dans le sein de la confiance et de l’intimité : « Ces sortes de mariages de bienséance, sans être un sacrement, disait-il, ont la même force que les autres, et se peuvent quasi aussi peu dissoudre. » Dans l’assertion grave de Saint-Simon, il faut faire la part de l’aversion bien connue du noble écrivain pour les gens de peu, redoublée de celle qu’il avait pour les poëtes et