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diriger sans doute sur quelques points, il se laisse aller sur le reste avec eux. Il accompagne le duc de Vendôme dans son gouvernement de Provence ; il assiste à toutes les fêtes et aux galas monstrueux que la province se fait honneur d’offrir au prince. Il entre, sur ce chapitre des repas et victuailles, dans des détails dignes de Gargantua, et qui nous paraîtraient aujourd’hui de mauvais goût, mais qui n’étaient que dans le goût du temps. On mangeait plus alors qu’aujourd’hui, surtout on en parlait davantage et sans honte. Une veine de Rabelais circulait encore, et elle coulait tout entière dans Chaulieu. L’ivresse pourtant ne lui montait pas trop au cerveau. Faisant allusion aux parades solennelles qui se jouent en ces jours de cérémonie et à toutes ces plates représentations de la comédie humaine, il écrivait à sa belle-sœur : « Si don Quichotte est à Rouen, Trivelin prince est ici ; ce sont là des farces que les gens de bon sens doivent bien mépriser ; mais il faut se laisser emporter au torrent, et, puisque le monde n’est que comédie, il faut prendre la queue de lapin et l’épée de bois comme les autres. » Cette même lettre écrite d’Aix en Provence, et avec une franche crudité gauloise, renferme quelques propos de galanterie plus que hasardés. Chaulieu indique à sa belle-sœur qu’il serait en passe, s’il demeurait tant soit peu, d’avoir toutes sortes de succès. Mme  de Grignan, la lieutenante-générale, réunit chez elle les dames de la province, et il semble croire, en homme un peu glorieux, qu’il n’aurait, dans cette assemblée, qu’à jeter la pomme : « Le favori du gouverneur, dit-il, en réputation d’un bel-esprit et d’homme de Cour, serait bientôt ici un dangereux rival. » Il nous donne un échantillon des plaisanteries à la provençale qu’il adresse à l’une de ces dames ; la plaisanterie nous semble, avouons-le, de toute énormité, et on y revient à deux fois avant d’oser