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mage que ce ne soit un de nos petits Messieurs (sans doute les jeunes princes de Vendôme) qui fût en état de faire son apprentissage sous le grand Sobieski et cette campagne à ma place. Ils ne sauraient guère avoir de meilleur maître… Il donna audience à l’envoyé des Tartares lundi ; il (l’envoyé) vint l’assurer de l’amitié du khan son maître, et de l’envie qu’il a de ménager une bonne paix entre le Turc et lui. Je vous garde une copie de la lettre qu’il a apportée, pour vous régaler quelque jour d’une pièce d’éloquence à la tartare. »


Ils reviennent bientôt de cette expédition d’Ukraine, l’ambassadeur et lui, couverts de gloire et de lauriers, ou plutôt de boue et de lauriers :


« Nous avons trouvé ici la reine fort bien revenue de ses dernières maladies, et d’une magnificence d’habits que rien ne peut égaler. Il n’y a rien de plus opposé à l’état où nous sommes revenus d’Ukraine, depuis M. de Béthune jusques au dernier de nous. Nos habits ne vont pas à couvrir la nudité humaine. Il a fallu rester huit jours avec toutes les dames de la Cour en ce déplorable état, parce que nos hardes sont dans le garde-meuble de la reine, à Léopold. Elle y a envoyé aujourd’hui un huissier de sa chambre pour nous tirer de nos guenillons, et parce que M. de Béthune scandalisait souvent, par l’usure de ses habits, toutes les filles d’honneur. »


Ce mélange de luxe et d’indigence perce en plus d’un endroit. À travers la discrétion que s’impose Chaulieu dans sa Correspondance, on entrevoit très-distinctement son but et ses mécomptes. Il avait espéré être nommé Résident ou Chargé d’affaires de Pologne à Paris ; M. de Béthune l’appuyait auprès du roi et de la reine ; mais celle-ci protégeait un M. Letrens qui faisait les affaires de Pologne à Paris sans le titre et sans les qualités requises. La reine s’y opiniâtrait, et, de peur de la choquer, M. de Béthune n’insistait pas. Chaulieu put s’apercevoir, dès lors, de ce que valent, au fond, les protections et les promesses de Cour :