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blic, moins attentif à la main-d’œuvre et aux détails, ne s’y est pas trompé, et il n’a pas agréé l’homme à travers l’écrivain. Plus l’un lui avait été donné comme grand, plus il a trouvé l’autre petit.

L’inconvénient capital de ces Mémoires est qu’on ne sait pas nettement à qui l’on a affaire en les lisant. Est-ce un homme de bonne foi, revenu de tout, un acteur retiré de la scène, qui cause et de lui et des autres, qui dit le bien et le mal, et nous découvre le secret de la comédie ? Est-ce un acteur encore en scène, qui continue avec hauteur et dignité un rôle de théâtre ? Il y a de l’un et il y a de l’autre. Le masque est en partie tombé ; mais l’auteur, à chaque moment, le reprend et se le rajuste sur le visage, et, tout en le reprenant, il s’en moque et veut faire comme s’il ne le mettait pas. À travers cette contradiction de mouvements, il se dessine lui-même et se trahit dans sa nature secrète, mais il se fait connaître par le côté où il s’y attendait le moins, et on ne lui en sait pas gré.

Et par exemple, est-ce un homme revenu des préjugés de noblesse et de sang qui nous parle ? Est-ce un gentilhomme sincèrement converti à l’égalité démocratique des mœurs modernes ? Mais il commence par nous déployer en plusieurs pages, au moment de sa naissance, ses parchemins et titres d’antique noblesse ; il est vrai qu’après cet exposé généalogique il ajoute : « À la vue de mes parchemins, il ne tiendrait qu’à moi, si j’héritais de l’infatuation de mon père et de mon frère, de me croire cadet des ducs de Bretagne… » Mais, en ce moment, que faites-vous donc, sinon de cumuler un reste de cette infatuation (comme vous dites) avec la prétention d’en être guéri ? C’est là une prétention double, et au moins l’infatuation dont vous taxez votre père et votre frère était plus simple.