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teaubriand était alors parfaitement inconnu et qu’il n’avait rien publié en France à cette date, Atala ne devant paraître qu’en 1801, et le Génie du Christianisme en 1802. Or, M. de Chateaubriand, encore inconnu, fit son entrée dans la littérature en insérant au Mercure un article sous forme de lettre, par lequel il attaquait précisément Mme  de Staël et son livre. Eh bien ! l’auteur des Mémoires d’Outre-Tombe a si bien oublié cela que, dans ce chapitre où il reproche à Byron de ne l’avoir jamais nommé, il ajoute : « Point d’intelligence, si favorisée qu’elle soit, qui n’ait ses susceptibilités, ses défiances : on veut garder le sceptre, on craint de le partager, on s’irrite des comparaisons. Ainsi un autre talent supérieur a évité mon nom dans un ouvrage sur la Littérature. Grâce à Dieu, m’estimant à ma juste valeur, je n’ai jamais prétendu à l’empire… » Ce talent supérieur, c’est Mme  de Staël qui se trouve traduite ici comme coupable (le croirait-on ?) de n’avoir pas nommé M. de Chateaubriand dans ce livre publié avant que M. de Chateaubriand fût connu, dans ce livre que M. de Chateaubriand a commencé lui-même par attaquer afin de se faire connaître. On n’en revient pas, et c’est à ne pas croire à de pareilles absences. Les remarques que je fais là sur le chapitre purement littéraire, on les appliquerait également à toutes les parties du livre. Partout se révèle et perce un amour-propre presque puéril, qui en toutes choses se préfère naïvement aux autres, qui se donne le beau rôle en le leur refusant, qui se pose en victime et tranche du généreux. Cette lèpre de vanité traverse en tous sens ces Mémoires, et vient gâter et compromettre les parties élevées et nobles du talent. Nous autres littérateurs, en entendant d’abord ces lectures, séduits par les beaux morceaux, nous n’avions pas été assez sensibles à ce défaut capital : mais le pu-