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voulait pas avoir d’enfants, et, s’il avait pu, il aurait voulu (en littérature) ne pas avoir de père.

Au sujet de Byron, au sujet de Mme de Staël, M. de Chateaubriand introduit dans ses Mémoires de singulières contestations et qui sont affectées de perpétuels oublis. Il reproche à Byron de l’avoir imité sans le nommer et sans lui en faire honneur ; il ajoute que, dans sa propre jeunesse, le Werther de Goethe, les Rêveries de Rousseau ont pu s’apparenter avec ses idées : mais moi, dit-il, « je n’ai rien caché, rien dissimulé du plaisir que me causaient des ouvrages où je me délectais. » Il oublie ici ce qu’il a fait lui-même ; car, loin d’avouer ces génies parents du sien, il les a reniés au contraire tant qu’il a pu, et, dans la Défense qu’il fit autrefois du Génie du Christianisme et de René, il écrivait : « C’est J.-J. Rousseau qui introduisit le premier parmi nous ces rêveries si désastreuses et si coupables… Le roman de Werther a développé depuis ce germe de poison. L’auteur du Génie du Christianisme, obligé de faire entrer dans le cadre de son apologie quelques tableaux pour l’imagination, a voulu dénoncer cette espèce de vice nouveau, et peindre les funestes conséquences de l’amour outré de la solitude. » C’est de cette façon singulière qu’il rendait hommage à ses parents et devanciers ; mais, pour avoir le droit de se plaindre de lord Byron, il l’a oublié parfaitement.

Ces oublis sont perpétuels dans les Mémoires, et ils tournent toujours au profit de l’amour-propre de l’auteur. Mais, à l’égard de Mme de Staël, l’oubli est poussé à un degré plus incroyable et qui passe tout. Il faut se rappeler que Mme de Staël avait publié, en 1800, un ouvrage sur la Littérature considérée dans ses rapports avec la Société. Dans ce livre elle ne nommait pas M. de Chateaubriand, par la raison très-simple que M. de Cha-