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nous prenons d’autres écrits de M. de Chateaubriand, d’une date très-rapprochée de celle qu’on répute la meilleure, par exemple les Mémoires sur le Duc de Berry, ou encore les Études historiques, nous y retrouvons toutes les fautes de mesure et de goût qu’on peut imaginer : c’est que l’Aristarque ici lui a manqué. Ceci est pour dire qu’à aucun moment le goût de M. de Chateaubriand n’a été très-mûr et tout à fait sûr, bien que, dans un temps, à juger par quelques-uns de ses écrits, il ait paru tel. Il n’y a donc rien d’étonnant si, dans les Mémoires d’Outre-Tombe, on retrouve de ces premiers défauts qui étaient en lui et auxquels il dut revenir encore plus volontiers avec l’âge.

La première partie des Mémoires, celle qui offre la peinture des jours d’enfance et d’adolescence, se rapporte pourtant, par la date de composition, à la plus heureuse époque de la maturité de M. de Chateaubriand, à cette année 1811 dans laquelle il publia l’Itinéraire. Aussi, cette partie est-elle de beaucoup la plus légère de touche et la plus pure, et j’ose dire qu’elle le paraîtrait plus encore s’il n’y avait fait mainte fois des surcharges en vieillissant. À partir de 1837 environ, sa main se gâta ; ses coups de pinceau devinrent plus heurtés, plus brisés dans leur énergie dernière. Il y avait toujours en lui des reflets et des parfums retrouvés de la Grèce, mais le vieux Celte aussi reparaissait plus souvent ; et, pour appliquer ici le nom d’un écrivain qu’il cite quelquefois et qui exprime l’extrême recherche dans l’extrême décadence, on dirait que, dans les parties dernières de sa composition, il soit entré du Sidoine Apollinaire, tant l’œuvre semble subtile et martelée ! On pourrait affirmer, à la simple vue, que certaines pages, qui portent la date de 1822, ont reçu une couche de 1837.