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théâtres qu’il protège, et par conséquent qu’il surveille, qu’il fasse diriger ?

Il est trois ou quatre théâtres que l’on ne conçoit pas sans protection en France : l’Opéra, l’Opéra-Comique, le Théâtre-Français et les Italiens. Ce sont des théâtres de luxe ou des écoles de goût. Je ne dis rien de l’Opéra-Italien, plante exotique, plante rare et délicieuse, qui s’acclimate chaque jour parmi nous, mais qui a besoin encore des artifices de la serre. Le Grand-Opéra est un spectacle unique. Relisez le Mondain et ce qu’en a dit Voltaire ; c’est encore vrai pour nous : l’Opéra représente la civilisation parisienne à ses grands jours, dans sa pompe et dans ses fêtes. Après chaque ébranlement social, voulez-vous avoir la mesure de la confiance renaissante ? voulez-vous savoir si le monde reprend à la vie, si la société se remet à flot et rentre à pleines voiles dans ses élégances et ses largesses ? ce n’est pas tant à la Bourse qu’il faut aller, c’est peut-être à l’orchestre de l’Opéra. Quand Paris recommence à s’amuser, ce n’est pas seulement une classe privilégiée qui s’amuse, ce sont toutes les classes qui profitent et qui prospèrent. Paris alors est en bon train de se sauver, et la France avec lui.

L’Opéra-Comique représente ce genre moyen, cher à l’esprit français, dans lequel la musique se mêle au drame selon une mesure qui plaît à notre organisation et que l’on goûte sans étude et sans effort ; c’est un genre particulièrement agréable, qui refleurit à chaque saison et qu’il est naturel de maintenir. Mais le Théâtre-Français surtout est et demeure, à travers toutes les vicissitudes, une grande école de goût, de bon langage, un monument vivant où la tradition se concilie avec la nouveauté. À l’époque où tant de ruines se sont faites autour de nous, il serait peu raisonnable de venir com-