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comme s’il voulait et n’osait la définir : « La simplicité, dit-il, n’est pas toujours compagne de la bienfaisance. Il paraît qu’entre les deux interlocuteurs les paroles furent vives et singulières ; et ce qui prouverait que l’esprit de la dame se fourvoya dans le dialogue, c’est l’étrange condition qu’elle voulait imposer… » Le lecteur, à travers ces vagues allusions, est dans un certain embarras et peut bien se fourvoyer lui-même. Je n’ai été tout à fait sûr que c’était de Mme Necker qu’il s’agissait, que lorsqu’ayant lu l’Éloge de Corvisart dans Cuvier, j’ai trouvé cette dame désignée clairement d’après son mari, car Cuvier lui-même ne va pas jusqu’à la nommer. Ô périphrase académique, que me veux-tu ? Au moment même où vous vous moquez des perruques, n’en mettez pas du moins à votre style.

« Il y en a, dit Pascal, qui masquent toute la nature ; il n’y a point de roi parmi eux, mais un auguste monarque ; point de Paris, mais une capitale du royaume. Il y a des endroits où il faut appeler Paris Paris, et d’autres où il faut l’appeler capitale du royaume. » Cette remarque de Pascal, bien entendue et bien appliquée, renferme toute la réforme de l’Éloge académique comme je l’entends, au point de vue du style. Ne masquons jamais la nature ni l’homme.

Quand je dis de ne pas masquer l’homme, ce n’est pas que j’aie la grossièreté de vouloir qu’on exprime tout. Il y a des coins de vérité qu’on présentera plus agréablement sous un léger voile. Dans l’Éloge de Portal, voulant faire allusion au charlatanisme si connu dont ce médecin avait usé d’abord pour se mettre en renom, Pariset, après l’avoir couronné de tous les éloges, ajoute à la fin que « son seul tort, peut-être, a été, dans ses premières années, de prendre l’avenir en défiance, de ne pas croire à l’effet naturel de ses talents,