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tiques qui remplissaient alors la France de joie et d’enthousiasme avaient jeté beaucoup de sombre sur la petite société d’Auteuil, qui représentait les hommes de la veille, les républicains probes et mécontents. Fauriel était triste et désespéré comme un homme jeune, qui voit pour la première fois se briser son rêve. Pariset prend le ton d’un sage, d’un philosophe profondément aguerri et consommé ; il lui dit : « Eh quoi ! votre chagrin n’est pas encore usé ? vos regrets, sont toujours aussi vifs ? et vous ne pouvez vous faire aux choses de ce monde ? vous n’êtes pas encore à ce calme que produit le désespoir ? Imitez-moi, mon ami ; vous m’avez vu dans les mêmes sollicitudes que vous ; mais, en y songeant bien, j’ai substitué le droit au droit, et je me suis convaincu que les événements actuels tiennent comme effets nécessaires à des causes nécessaires, et que, s’ils ont lieu, c’est qu’ils devaient arriver comme cela et non autrement. Tout est lié parmi les hommes, ainsi que dans les lois de la nature ; et lorsque de grandes injustices se font impunément dans notre misérable espèce, je vous défie de dire lequel est le plus à condamner, du coupable ou du témoin. Partant de là, j’ai pris le parti du silence et de la soumission. Ce n’est pas que je n’aie conservé les mêmes principes ; mais il faut les tenir sous le boisseau, Pourvu que ma conduite ne les démente point absolument, je me croirai sans reproche. » Il continue de développer cette idée d’une doctrine secrète qu’il faut réserver pour soi et pour le petit nombre : « En ce qui vous regarde, mon ami, croyez-moi, vous êtes né, pour votre bonheur, trop tôt de quelques siècles. Dès ce moment, faites-vous à l’idée que vous ne verrez jamais rien de ce que vous entendez devoir le réaliser parmi nous. Réservez votre doctrine secrète pour un petit nombre d’amis sûrs, dans le sein de qui votre âme puisse