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manière est aussi académique par la politesse, qu’elle l’est peu par le reste des qualités ou même des légers défauts qui la composent. L’Éloge ne s’y monte jamais au ton oratoire, et y affecte constamment celui d’une Notice nette et simple. Mais la simplicité de Fontenelle, dans sa rare distinction, ne ressemble à nulle autre : c’est une simplicité tout exquise, à laquelle on revient à force d’esprit et presque de raffinement. L’expression, chez lui, est juste, d’une propriété extrême, toujours exacte à la réflexion, spirituelle, quelquefois jolie, volontiers épigrammatique, même dans le sérieux. Ce qui frappe surtout, c’est le contraste de cette expression, bien souvent un peu mince, avec la grandeur de l’esprit qui embrasse et parcourt les plus hauts sujets. Il en résulte une sorte de disproportion qui déconcerte bien un peu, mais avec laquelle on se raccommode quand on est fait à l’air et aux façons de ce guide supérieur. Fontenelle voulut et sut préserver tout d’abord les Éloges des savants de l’inconvénient presque inhérent au panégyrique littéraire, je veux dire l’emphase et l’exagération. Il avait pour principe qu’il ne faut donner dans le sublime qu’à la dernière extrémité et à son corps défendant.

Condorcet, dans ses Éloges, se préserva également de la pompe littéraire, mais pas toujours de la déclamation philosophique. Esprit supérieur lui-même et ami de la vérité, mais ami ambitieux, et bien moins à l’abri que Fontenelle des intempéries et des contagions de son temps, Condorcet a ses propres idées qu’il ramène trop complaisamment à travers l’exposé qu’il fait de celles des autres. Il traite ses sujets plus à fond, c’est là son mérite ; mais aussi il intervient, il raisonne, il discute trop souvent. Tandis que Fontenelle donnait l’explication naturelle de bien des choses insensiblement et sans