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Sur les Lettres de Mme Du Deffand, de Mlle de Lespinasse, sur les Mémoires de Mme d’Épinay et la Correspondance de l’abbé Galiani, il a écrit des pages justes qu’on relit avec plaisir. Il a surtout bien jugé Mme Du Deffand, l’aveugle clairvoyante, comme on l’appelait, cet esprit beaucoup trop pénétrant pour être indulgent. À propos des exactes et sévères critiques qu’elle fait de ses contemporains : « Mme Du Deffand, disait M. de Feletz, eût été, sans contredit, un excellent journaliste, quoiqu’un peu amer… Le tableau qu’elle présente de sa société décèle un esprit qui ne voit pas en beau, mais qui voit juste ; un pinceau qui ne flatte pas, mais qui est fidèle ; ses traits malins vous peignent un homme depuis les pieds jusqu’à la tête. » Lui, le journaliste malin, mais sans amertume, il savait bien qu’on ne peut faire ainsi. C’est déjà trop du buste dans bien des cas. Deux ou trois traits au plus et qu’on affaiblit encore, voilà tout ce qu’autorisent les convenances. Au plus vif du jeu, il les observa toujours. M. de Feletz, à son heure, était, à proprement parler, le critique de la bonne société.

Dans cette vie doucement occupée et où le travail lui-même ne semblait qu’un ornement du loisir, sans autre ambition que celle de cultiver ses goûts et ses amitiés, M. de Feletz, en vieillissant, arriva tout naturellement aux honneurs littéraires. Le genre de critique qu’il représentait fut, pour la première fois, couronné en lui. La personne, non moins que l’écrivain, méritait ce choix. J’ai eu, pour mon compte, le bonheur de le connaître au sein de l’Académie et à la Bibliothèque Mazarine, dont il était alors administrateur. C’est en l’approchant de plus près qu’il m’a été donné d’apprécier tout à fait cet esprit resté jeune, nourri d’anecdotes, d’agréables propos, rempli des souvenirs de son temps, nullement fermé aux choses du nôtre. Il ne se pouvait voir de