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journaux eurent ordre de se taire ou de baisser le ton. Le Mercure, selon son inclination naturelle, ne tarda pas à s’affadir, et, sauf de rares instants, à retomber dans l’insipidité. La Décade, avant d’expirer, avait changé de nom et d’esprit. Le Journal des Débats, sous le titre de Journal de l’Empire, fut le seul à prospérer et à gagner chaque jour dans l’opinion. À mesure qu’il était contraint de resserrer le cadre, je ne dis pas des discussions, mais des plus simples réflexions politiques, il développa sa partie littéraire, qui devint désormais le principal ou plutôt l’unique instrument de son succès. En 1807, il eut à subir une révolution intérieure, un vrai coup d’État. MM. Bertin, propriétaires du journal, furent évincés ; ils devaient être totalement dépossédés quelques années plus tard. Mais le journal qu’ils avaient créé subsista. M. Étienne, établi rédacteur en chef par ordre supérieur, conserva à leur poste les habiles rédacteurs littéraires, et leur adjoignit Hoffman. C’était un auxiliaire destiné à corriger en partie l’esprit anti-voltairien des autres. De ces divers écrivains, ainsi agrégés, qui avaient commencé ou qui continuèrent alors de concert la fortune du journal, quatre noms sont restés de loin associés dans le souvenir comme représentant la critique littéraire sous l’Empire : Geoffroy, Dussault, Hoffman et M. de Feletz, qui vient de mourir le dernier. Geoffroy mourut dès 1814, Dussault en 1824, et Hoffman en 1828. Geoffroy, né en 1743, était de beaucoup leur aîné à tous.

Malgré ses défauts et même ses vices, Geoffroy était un critique d’une valeur réelle, d’une grande force de sens, d’une fermeté un peu lourde, mais qui frappait bien quand elle tombait juste, d’une solidité de jugement remarquable quand la passion ou le calcul ne venait pas à la traverse. Pour bien connaître un critique,