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vinet, reste enfant, plus faible, plus susceptible, âme toute sensible et maladive, toute douloureuse : il y a là des nuances d’analyse et une anatomie du cœur humain où l’auteur a excellé. La petite Fadette, ou petite fée, n’est autre qu’une petite fille de l’endroit dont la famille a une réputation assez équivoque, et qui passe pour un peu sorcière. Cette petite fille, qui se montre d’abord toute laide, qui ne se soigne pas plus qu’un méchant garçon, et qui est la bête noire du village, mais qui, au fond, se trouve avoir toutes les qualités de l’esprit, de l’imagination et du cœur, et qui finit même, sous l’éclair de l’amour, par se métamorphoser en beauté, cette petite Fanchon Fadet qui, sous sa verve de lutinerie, cache des trésors de sagesse, remplit ici le rôle qui est volontiers réparti aux femmes dans les romans de Mme  Sand ; car elles y ont toujours le beau rôle, le rôle supérieur et initiateur. Mme  Sand, même quand elle se mêle d’idylle, n’y porte pas naturellement la douceur et la suavité tendre d’un Virgile ou d’un Tibulle : elle y fait encore entrer de la fierté. La petite Fadette est fière avant tout. On y peut voir aussi, à quelques-unes de ses paroles, une protestation contre la société au nom des êtres disgraciés et intelligents ; mais, ici, toutes ces idées sont arrêtées à point et revêtues de formes si vivantes, si gracieuses et si peu philosophiques, qu’on n’a le temps ni l’envie de les discuter. À côté de cette création poétique il y a l’observation de la nature vulgaire, la belle Madelon à côté de la petite Fadette, de même que dans Jeanne il y avait la coquette Claudie à côté de la belle et chaste bergère. Tous ces jeunes cœurs, les naturels autant que les poétiques, ceux des filles comme ceux des garçons, sont connus, maniés, montrés à jour par Mme  Sand, comme si elle les avait faits. Oh ! qu’un poëte