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ture de Marie avec le fermier : en passant par la bouche de l’enfant, ce récit s’épure. En général, le petit Pierre reparaît dans toutes les situations décisives et vient clore les choses ; c’est l’ange, je l’ai dit, c’est le médiateur et comme le lien entre la première femme et celle qui sera la seconde. Quand l’expression manque, le petit Pierre arrive, et il est l’expression vivante.

Une fois le mariage de Germain et de Marie décidé, le peintre les oublie un peu pour nous décrire la cérémonie des noces, les rites et coutumes du pays qui ont cessé en partie à l’heure qu’il est, et qu’on ne peut s’empêcher de regretter : « Car, hélas ! s’écrie Mme Sand, tout s’en va. Depuis seulement que j’existe, il s’est fait plus de mouvement dans les idées et les coutumes de mon village, qu’il ne s’en était vu durant des siècles avant la Révolution… » Ô poëte, je vous arrête ici et je vous prends sur le fait. Pardonnez-moi donc de m’emparer de cet hélas ! involontaire qui vous a échappé, et de vous dire : « Tout s’en va, et, dans ces choses qui s’en vont, il en est que vous regrettez vous-même. Donc tout n’était pas mal dans le passé. Tout n’était pas bien non plus, je vous l’accorde. Mais, moralement, non moins que poétiquement, il y avait des qualités et des vertus que l’âge nouveau, avec ses inventions et ses recettes industrielles ou philosophiques, n’a pas su remplacer encore. Eh bien ! puisque cela est, ô poëte, convient-il donc, sur la foi de certains systèmes non éprouvés et que rien ne garantit, de pousser si fort et si violemment ces restes d’un passé déjà si ébranlé ? Il s’en va bien assez vite de lui-même. »

Cette fin de la Mare-au-Diable, dans la description des noces, semble peut-être un peu longue ; mais on n’est pas fâché, malgré tout, de s’arrêter sur ces images d’abondance rurale et de copieux bonheur, qui rappellent,