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tion véritable. J’étais entré à l’improviste dans une oasis de verdure, de pureté et de fraîcheur. Je me suis écrié, et j’ai compris alors seulement cette phrase d’une lettre qu’elle écrivait l’an dernier, du fond de son Berry, à une personne de ses amies qui la poussait sur la politique : « Vous pensiez donc que je buvais du sang dans des crânes d’aristocrates ; eh ! non, j’étudie Virgile et j’apprends le latin. »

Nous ferons ici comme elle, nous laisserons la politique de côté avec tous ses méchants propos et ses sots contes : ce sont légendes qui ne sont pas à notre usage. Oh ! la maussade légende que celle du Gouvernement provisoire ! Nous voilà tout de bon revenus aux champs ; George Sand, homme politique, est une fable qui n’a jamais existé : nous possédons plus que jamais dans Mme  Sand le peintre du cœur, le romancier et la bergère.

Mme  Sand faisait mieux l’an dernier, en son Berry, que de lire les Géorgiques de Virgile ; elle nous rendait sous sa plume les géorgiques de cette France du centre, dans une série de tableaux d’une richesse et d’une délicatesse incomparables. De tout temps, elle avait aimé à nous peindre sa contrée natale ; elle nous l’avait montrée dans Valentine, dans André, en cent endroits ; mais ce n’est plus ici par intervalles et par échappées, comme pour faire décoration à d’autres scènes, qu’elle nous découpe le paysage ; c’est la vie rustique en elle-même qu’elle embrasse ; comme nos bons aïeux, nous dit-elle, elle en a subi l’ivresse, et elle nous la rend avec plénitude. Le roman de Jeanne est celui dans lequel elle a commencé de marquer son dessein pastoral. Pourtant ce personnage de Jeanne, la bergère d’Ep-Nell, est bien poétique, bien romanesque encore ; les souvenirs druidiques interviennent dès les premières pages pour agrandir et idéaliser la réalité. On flotte en idée entre Velléda