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presque écoulée, lorsque la porte de la chambre où il reposait s’ouvrit doucement, et il vit s’approcher une beauté merveilleuse, guidée par une esclave. « Quel est ton nom ? lui dit le héros tout étonné. Que cherches-tu dans la nuit sombre ? Quel est ton désir ? » La femme voilée n’était autre que la belle Tehmimeh, la fille unique du roi de Sémengan, et elle confessa ingénument au héros son désir. Elle avait entendu faire de lui maint récit fabuleux, comme Médée de Jason, Ariane de Thésée, comme Desdémone d’Othello. Elle lui répète quelques-uns de ces discours qui ont égaré sa raison : « Tels sont les récits qu’on m’a faits, lui dit-elle, et je me suis souvent mordu la lèvre à cause de toi. » Il y a une belle parole du Sage : « Ne parle pas d’hommes devant les femmes, car le cœur de la femme est la demeure du malin, et ces discours font naître en elles des ruses. » Bref, la belle Tehmimeh s’offre ici au héros, sans trop de ruses pourtant et sans détour, ne souhaitant rien tant que d’avoir un fils d’un homme tel que Roustem. Elle n’oublie pas, en finissant, d’ajouter, comme raison déterminante, qu’elle s’engage à lui ramener son bon cheval Raksch. Roustem, entendant ces promesses, et surtout celle qui concerne son bon cheval, se décide sans trop de peine. Mais, pour ne pas violer l’hospitalité, il envoie un homme grave demander la fille à son père. Le père n’a garde de refuser ; il accorde sa fille selon les rites du pays, qui paraissent avoir été assez faciles, et la belle Tehmimeh est au comble de son vœu. Au premier rayon de l’aurore, Roustem prit un onyx qu’il portait au bras, et qui était célèbre dans le monde entier ; il le donna à Tehmimeh en disant : « Garde ce joyau, et si le Ciel veut que tu mettes au monde une fille, prends cet onyx et attache-le aux boucles de ses cheveux sous une bonne étoile et