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Et par exemple, sans sortir des Confidences, dans l’ordre des choses de goût et de sentiment, que fait M. de Lamartine quand il nous parle de sa mère ? Il ne se contente pas de nous la peindre, il nous la décrit. Décrire avec une si visible complaisance une personne qui nous touche de si près et à laquelle on a tant de chances de ressembler, c’est déjà un manque de tact en si délicate matière. Mais en quels termes encore la décrit-il ? Tantôt « on retrouve en elle ce sourire intérieur de la vie, cette tendresse intarissable de l’âme et du regard, et surtout ce rayon de lumière si serein de raison, si imbibé de sensibilité, qui ruisselait comme une caresse éternelle de son œil un peu profond et un peu voilé, comme si elle n’eût pas voulu laisser jaillir toute la clarté et tout l’amour qu’elle avait dans ses beaux yeux. » Tantôt « ses traits sont si délicats, ses yeux noirs ont un regard si candide et si pénétrant ; sa peau transparente laisser tellement apercevoir sous son tissu un peu pâle le bleu des veines et la mobile rougeur de ses moindres émotions ; ses cheveux très-noirs, mais très-fins, tombent avec tant d’ondoiements et des courbes si soyeuses le long de ses joues jusque sur ses épaules, qu’il est impossible de dire si elle a dix-huit ou trente ans. » Un spirituel romancier qui, de nos jours, a inventé un genre, M. de Balzac, a décrit aussi la femme de trente ans, et il ne l’a pas fait avec des traits plus choisis et plus délicieusement disposés ; mais, en la décrivant, il ne décrivait pas une mère. Est-ce que vous ne sentez pas la différence ? « On comprend, dit M. de Lamartine, rien qu’à voir ce portrait, toute la passion qu’une telle femme dut inspirer à mon père, et toute la piété que plus tard elle devait inspirer à ses enfants. » Oui, l’on comprend la passion, mais non la piété. La piété chaste, sainte, vraiment filiale, n’ana-