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nales, les souvenirs des dynasties antérieures et des héros. Bien que musulmans de religion, ils ne reculèrent pas devant ce réveil d’un antique passé où la religion régnante était celle de Zoroastre. Leurs petites cours se remplirent de poëtes persans qui reprirent et remanièrent avec émulation ces sujets de ballades populaires. Le sultan Mahmoud, de race turque, qui régnait dans le Caboul, et dont les conquêtes s’étendirent jusqu’à l’Inde, fut un des plus ardents à se signaler en cette voie de renaissance littéraire qui venait en aide à ses projets politiques, ou qui du moins pouvait illustrer son règne. Cependant, vers le temps où ce Turc, violent d’ailleurs et ambitieux, s’intéressait si fort à ces choses de l’esprit, et avant qu’il fût encore monté sur le trône, un homme, doué de génie par la nature, s’était senti poussé de lui-même à ces hautes pensées par une vocation puissante. Dans sa ville natale de Thous, Ferdousi enfant, fils d’un jardinier, assis au bord du canal d’irrigation qui coulait devant la maison de son père, s’était dit souvent qu’il serait beau de laisser un souvenir de lui dans ce monde qui passe. Il voyait que le monde s’était repris d’amour pour les histoires des anciens héros. Tous les hommes intelligents et tous les hommes de cœur s’y attachaient. C’était l’œuvre indiquée alors pour le génie ; c’était le rameau d’or à cueillir en cette saison. Déjà un jeune homme doué d’une langue facile, d’une grande éloquence et d’un esprit brillant, avait annoncé le dessein de mettre en vers ces histoires, et le cœur de tous s’en était réjoui. Mais ce poëte, nommé Dakiki, n’avait pas en lui tout ce qu’il faut de sagesse pour accomplir les pensées graves ; il se laissa aller aux mauvaises compagnies, il leur abandonna son âme faible et douce, et périt assassiné dans une débauche. Son dessein resta vacant, et Ferdousi s’en empara avec ar-