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décident de leur destinée. Quant aux autres, aux hommes d’État véritables, aux ambitieux de haute volée, vous croyez qu’ils ne succombent jamais que pour des motifs dignes d’eux, dignes du sacrifice pénible qu’ils s’imposent en nous gouvernant. En un mot, vous croyez que la Providence y regarde à deux fois avant de les faire choir. Pour moi, je crois que, du moment qu’elle y regarde, il lui suffit d’un seul regard et d’une seule mesure pour tous. Mais cette mesure nous est profondément inconnue.

Je pourrais choisir encore quelques autres assertions aussi absolues, aussi gratuites, et qui me font douter de la raison intérieure de cette philosophie imposante. Que si l’on examine le Discours par rapport au sujet même qui y est traité, c’est-à-dire à la Révolution d’Angleterre, il y a beaucoup à louer. Quand je conteste la possibilité pour l’homme d’atteindre aux mille causes lointaines et diverses, je suis loin de nier cet ordre de considérations et de conjectures par lesquelles, dans un cadre déterminé, on essaie de rattacher les effets aux causes. C’est la noble science de Machiavel et de Montesquieu, quand ils ont traité, tous les deux, des Romains. La Révolution d’Angleterre, considérée dans ses propres éléments et dans ses limites, cette Révolution qui s’offre comme enfermée en champ clos, se prête mieux qu’aucune autre peut-être à une telle étude, et M. Guizot, plus que personne, est fait pour en traiter pertinemment, sans y mêler de ces conclusions disputées que chacun tire à soi. On relèverait dans son Discours des portraits tracés avec vigueur et relief, notamment celui de Monk, celui de Cromwell. Le talent, enfin, qui nous montre tout cela, est supérieur, est-il besoin de le dire ? Mais, même en ne considérant que les jugements relatifs à la Révolution anglaise, l’enchaînement des causes