Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tune et l’humeur gouvernent le monde. » Entendez par humeur le tempérament et le caractère des hommes, l’entêtement des princes, la complaisance et la présomption des ministres, l’irritation et le dépit des chefs de parti, la disposition turbulente des populations, et dites, vous qui avez passé par les affaires, et qui ne parlez plus sur le devant de la scène, si ce n’est pas là en très-grande partie la vérité.

Ce n’est donc qu’avec une discrétion extrême qu’on devrait, ce me semble, proposer les remèdes généraux dans lesquels il n’entre que des idées. M. Guizot, après avoir embrassé avec sa supériorité de vues la Révolution d’Angleterre et celle d’Amérique, y reconnaît trois grands hommes, Cromwell, Guillaume III et Washington, qui restent dans l’histoire comme les chefs et les représentants de ces crises souveraines qui ont fait le sort de deux puissantes nations. Il les caractérise, l’un après l’autre, à grands traits. Tous les trois ont réussi, les deux derniers plus complétement, Cromwell moins : il n’a réussi qu’à se maintenir et n’a rien fondé. M. Guizot attribue cette différence à ce que Guillaume III et Washington, « même au milieu d’une révolution, n’ont jamais accepté ni pratiqué la politique révolutionnaire. » Il croit que le malheur de Cromwell fut d’avoir eu d’abord, par la nécessité de sa position, à embrasser et à pratiquer cette politique dont l’alliage rendit son pouvoir toujours précaire. M. Guizot en conclut que, sous toutes les formes de gouvernement, « qu’il s’agisse d’une monarchie ou d’une république, d’une société aristocratique ou démocratique, la même lumière brille dans les faits : le succès définitif ne s’obtient, dit-il, qu’au nom des mêmes principes et par les mêmes voies. L’esprit révolutionnaire est fatal aux grandeurs qu’il élève comme à celles qu’il renverse. »