Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/321

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’enseignement, d’influence. Il a adopté de bonne heure certaines idées, certains systèmes, et par toutes les voies, par la plume, par la parole, dans la chaire, à la tribune, au pouvoir et hors du pouvoir, il n’a rien négligé pour les faire prévaloir et pour les naturaliser dans notre pays. Et en ce moment que fait-il encore ? Tombé hier, il relève aujourd’hui son drapeau ; seulement, il le relève sous la forme historique. Il range encore une fois ses idées et ses raisons en bataille, comme s’il n’avait pas été atteint. Pour en finir donc avec ces précautions qui étaient d’ailleurs indispensables, je ne ferai pas semblant d’oublier que M. Guizot a compté pour beaucoup dans nos destinées, qu’il y a pesé d’un grand poids. L’accident de février, cette catastrophe immense dont nous faisons tous partie et dont nous sommes tous les naufragés, sera présent à ma mémoire. Je mentirais si je disais que cette dernière leçon d’histoire ne se joint pas pour moi à toutes les autres que nous devions à M. Guizot, pour les compléter, les corriger, et pour me confirmer dans certains jugements que j’essaierai ici d’exprimer en toute convenance.

M. Guizot est un des hommes de ce temps-ci qui, de bonne heure et en toute rencontre, ont le plus travaillé, le plus écrit, et sur toutes sortes de sujets, un de ceux dont l’instruction est le plus diverse et le plus vaste, qui savent le plus de langues anciennes et modernes, le plus de Belles-Lettres, et pourtant ce n’est pas un littérateur proprement dit, dans le sens exact où se définit pour moi ce mot. Napoléon écrivait à son frère Joseph, alors roi de Naples, qui aimait fort les gens de lettres : « Vous vivez trop avec des lettrés et des savants. Ce sont des coquettes avec lesquelles il faut entretenir un commerce de galanterie, et dont il ne faut jamais songer à faire ni sa femme ni son ministre. » Cela est vrai de bien des