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ces louanges vont à conclure qu’on est en personne tout son portrait vivant. Oh ! que Racine fils, nourri dans la pureté et la religion du foyer domestique, s’entendait mieux à cette pudeur qui accompagne toute vraie piété ! Il hésite à prononcer tout haut le nom illustre de son père, ce nom qui était le sien :

Virgile, qui d’Homère appris à nous charmer,
Boileau, Corneille, et Toi que je n’ose nommer,
Vos esprits n’étaient-ils qu’étincelle légère ?

Nous touchons ici à un défaut essentiel dans l’éducation de M. de Lamartine, à une erreur de cette mère excellente qui, nourrie de Jean-Jacques et de Bernardin dont elle associait les systèmes avec ses croyances, ne voulut élever son fils qu’à l’aide du sentiment. À aucun moment, en effet, la règle n’intervient dans cette éducation abandonnée à la pure tendresse : « Mon éducation était toute dans les yeux plus ou moins sereins et dans le sourire plus ou moins ouvert de ma mère… Elle ne me demandait que d’être vrai et bon. Je n’avais aucune peine à l’être… Mon âme, qui ne respirait que la bonté, ne pouvait pas produire autre chose. Je n’avais jamais à lutter ni avec moi-même ni avec personne. Tout m’attirait, rien ne me contraignait. » C’est cette limite, c’est ce veto contre lequel son enfance ne s’est jamais heurtée, qui a manqué à l’éducation de M. de Lamartine, et qu’il n’a rencontré que très-tard dans la vie. Même hors de l’enfance et durant toute sa jeunesse, cette nature favorisée n’a cessé de s’épanouir sans se trouver en présence d’un obstacle qui l’avertit. Le monde l’a traité d’abord comme l’avait traité sa famille : il avait été l’enfant gâté de sa mère, il le devint de la France et de la jeunesse. Son génie facile, abondant, harmonieux, s’épanchait sans économie au gré de tous