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Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m’éclaire,| Ce blasphème vanté ne vient pas de ton cœur. Un souvenir heureux est peut-être sur terre

Plus vrai que le bonheur.

Voilà, pour être franc, ce que j’aime en M. de Musset, et non pas du tout les petits vers Sur trois marches de marbre rose, et autres colifichets qui sentent leur Régence.

Le goût de M. de Musset est arrivé à la maturité, et il serait beau à son talent de servir désormais son goût et de ne plus se permettre de faiblesses. Après tant d’essais et d’expériences en tous sens, après avoir tenté d’aimer tant de choses pour savoir quelle est la seule et suprême qui mérite d’être aimée, c’est-à-dire la vérité simple et à la fois revêtue de beauté, il n’est pas étonnant qu’au moment où l’on revient à celle-ci et où on la reconnaît, on se trouve en sa présence moins vif et plus lassé qu’on ne l’était en présence des idoles. Pourtant le génie a en lui des renaissances et des sources de jeunesse dont M. de Musset a connu plus d’une fois le secret, et qu’il n’a pas épuisées encore. Depuis quelques années, son talent s’est produit sous une forme nouvelle aux yeux du public, et il a triomphé d’une épreuve assez hasardeuse. Ces fines esquisses, ces gracieux Proverbes qu’il n’avait pas écrits pour la scène, sont devenus tout à coup de charmantes petites comédies qui se sont levées et ont marché devant nous. Le succès de son Caprice a fait honneur, je ne crains pas de le dire, au public, et a montré qu’il y a encore de l’émotion littéraire délicate pour qui sait la réveiller. Il a vu s’étendre comme par magie le cercle de ses appréciateurs. Bien des esprits qui n’auraient pas eu l’idée de l’aller chercher pour son talent lyrique ont appris à le goûter sous cette forme facile et légère. Il a eu plus que jamais le suffrage des gens du monde, des jeunes femmes ; il a mis en co-