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premiers jugements sur Pétrarque, sur André Chénier. Dans la pièce à M. de Musset, il en est resté au Musset des chansons de la Marquise et de l’Andalouse. Il lui dit de ces choses qui sont assez peu agréables à entendre, quand c’est un autre que soi qui les dit. Dans la Confession d’un Enfant du siècle, et ailleurs en maint endroit, M. de Musset avait fait de ces aveux que la poésie en notre siècle autorise et dont elle se pare. M. de Lamartine les lui tourne en leçon ; il se cite lui-même pour exemple, et il finit, selon l’usage, par se proposer insensiblement pour modèle. Voilà à quoi l’on s’expose dans ces hommages adressés aux illustres dont on presse les traces. M. de Lamartine lui-même n’avait pas été si bien accueilli de lord Byron que M. de Musset semble le croire : Byron, dans ses Mémoires, ne parle de cette belle épître sur l’Homme, des premières Méditations, que très à la légère et comme de l’œuvre d’un quidam qui a jugé à propos de le comparer au démon et de l’appeler chantre d’enfer. En somme, ce n’est point à ces illustres devanciers qu’il faut demander d’être tout à fait justes et attentifs quand on est soi-même de leur race ; ils sont trop pleins d’eux-mêmes. Comment lord Byron eût-il accueilli, je vous prie, une avance du poëte Keats, de ce jeune aigle blessé qui tomba sitôt, et qu’il traite partout si cavalièrement, du haut de son dédain ou de sa pitié ? Comment M. de Chateaubriand lui-même, qui garda si bien les dehors, jugeait-il dans le principe M. de Lamartine poëte, sinon comme un homme de grand talent et de mélodie, qui avait eu un succès de femmes et de salons ? Poëtes, allez donc tout droit au public pour avoir votre brevet, et dans ce public à ceux qui sentent, dont l’esprit et le cœur sont disponibles, à la jeunesse, ou aux hommes qui étaient jeunes hier et qui sont mûrs au-