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vent désiré de reculer jusqu’au néant, au lieu d’avancer, à travers tant de mensonges, tant de souffrances et tant de pertes successives, vers cette perte de nous-même que nous appelons la mort ! » C’est là une boutade sombre qu’on dirait empruntée à René. M. de Lamartine, dont la disposition habituelle est plutôt le contentement et la sérénité, rentre bien vite dans le vrai de sa nature, lorsqu’il nous peint sa libre et facile enfance, sa croissance heureuse sous la plus tendre et la plus distinguée des mères : « Dieu m’a fait la grâce de naître dans une de ces familles de prédilection qui sont comme un sanctuaire de piété… Si j’avais à renaître sur cette terre, c’est encore là que je voudrais renaître. » Il aurait bien tort, en effet, et il serait bien injuste s’il croyait avoir à se plaindre du sort à ses débuts dans la vie. Jamais être ne fut plus comblé : il reçut en partage tous les dons, même le bonheur ; c’est à croire que toutes les fées assistèrent à sa naissance, toutes, excepté une seule, celle qui brille le moins et dont l’absence ne se fait sentir que plus tard à mesure qu’on avance dans la vie. Qu’avait-elle donc au fond de sa boite, cette fée absente qui, seule, a fait défaut à M. de Lamartine ? Je le dirai tout à l’heure, si je l’ose ; mais certainement le poëte ne croit pas qu’elle lui ait manqué.

Il nous expose lui-même avec complaisance toutes les qualités et les grâces dont il était revêtu. « Ton enfant est bien beau pour un fils d’aristocrate, » disait un jour un représentant du peuple à sa mère. Sa première éducation fut toute maternelle, toute libre, toute buissonnière. « Ce régime, dit-il, me réussissait à merveille, et j’étais alors un des plus beaux enfants qui aient jamais foulé de leurs pieds nus les pierres de nos montagnes, où la race humaine est cependant si saine et si