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formé et habitué à son lecteur. J’ai dit que c’est au Conservatoire de musique, dans le faubourg Poissonnière, que M. Souvestre lit le plus ordinairement. Ces lectures ont commencé bien peu après les événements de juin 1848, et l’on sait que le Conservatoire n’est pas loin du clos Saint-Lazare. Il y avait donc parmi les auditeurs bien des figures qui pouvaient être celles des combattants de la veille. C’est sur ce public, dont les huit neuvièmes se composaient d’ouvriers, que le lecteur a eu à exercer son action insensible, morale, affectueuse, et il y a complètement réussi. Pour une des premières lectures il choisit quelques extraits des Mémoires de madame de La Rochejaquelein croyant qu’il était bon, pour dégoûter des guerres civiles, de montrer, dans un exemple à distance, les calamités affreuses où elles conduisent. L’émotion, à cette lecture, fut grande, et telle qu’il l’avait souhaitée. D’autres extraits dans lesquels il présenta successivement les batailles d’Azincourt, de Poitiers et de Crécy, d’après les anciens historiens et chroniqueurs, parurent un moment choquer le patriotisme de l’auditoire, et il lui en vint des plaintes dans une lettre, d’ailleurs respectueuse. Le lecteur, à la séance prochaine, répondit que tout désastre avait sa cause, qu’il fallait oser la chercher et sonder les blessures de la patrie ; que les malheurs d’une mère, après tout, n’étaient pas une honte, et que lui n’était pas venu là pour flatter le patriotisme, mais pour l’éclairer. Ces paroles excitèrent, chez ceux mêmes qui s’étaient choqués d’abord, un sentiment de cordialité et de confiance qui, depuis, ne s’est plus démenti.

Il faut beaucoup d’art pour tirer de ces lectures tout le parti moral possible, un art honnête et loyal, qui porte dans les esprits la conviction de son entière impartialité. Un jour que M. Souvestre, dans les commen-