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entre la leçon et la lecture. Seulement, il convient que celle-ci, tout en revenant finalement au même, n’ait jamais l’air d’être une leçon. Voilà le point délicat où il faut se tenir.

Dans le cas présent, on a affaire à des intelligences neuves, non pas molles et tendres comme celles des enfants, à des intelligences en général droites, saines, bien qu’en partie atteintes déjà par les courants déclamatoires qui sont dans l’air du siècle, à des intelligences mâles et un peu rudes, peu maniables de prime-abord, et qui deviendraient aisément méfiantes, ombrageuses, qui se cabreraient certainement si on voulait leur imposer. Le grand art est de les ménager, de ne point prétendre leur dicter à l’avance les impressions qui doivent résulter simplement de ce qu’on leur présente. Il faut d’abord les tâter, comme dirait Montaigne, les essayer longtemps, les laisser courir devant soi dans la liberté de leur allure. Un lecteur qui a fait ses preuves, qui leur a bien montré qu’il n’a aucun parti pris, aucune arrière-pensée autre que celle de leur amélioration intellectuelle, et qui a su par là s’acquérir du crédit sur son auditoire, un tel lecteur pourra naturellement beaucoup plus que celui qui est au début. S’il est une fois tout à fait établi et ancré dans la confiance, en étroite et complète sympathie avec son public, il pourra beaucoup sans effaroucher jamais et sans paraître empiéter en rien.

Pour les explications, en tout cas, et même en les réduisant à ce qu’elles ont de moindre, le lecteur ne saurait se dispenser, par un préambule, de mettre l’auditoire au point de vue, de faire connaître en peu de mots l’auteur dont il va lire quelque chose, de montrer cet auteur en place dans son siècle, et d’amener tellement, pour ainsi dire, les deux parties en présence, que