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grande partie de lectures, d’extraits abondants, faits avec choix, et plus ou moins commentés. Quand vous avez à parler d’un auteur, commencez par le lire vous-même attentivement, notez les endroits caractéristiques, prenez bien vos points, et venez ensuite lire et dérouler des pages habilement rapprochées de cet auteur, qui va ainsi, moyennant une très-légère intervention de votre part, se traduire et se peindre lui-même dans l’esprit de vos auditeurs. L’accent qui insiste, qui souligne, pour ainsi dire, en lisant ; quelques remarques courantes, et comme marginales, qui se glissent dans la lecture, et s’en distinguent par un autre ton ; quelques rapprochements indiqués comme du doigt, suffiront pour mettre l’auditeur à même de bien saisir la veine principale et de se former une impression. C’est ainsi qu’il vous suivra avec une honnête liberté, et qu’il tirera la conclusion en même temps que vous, sans croire accepter l’autorité d’un maître, sans l’accepter en effet, et en se faisant par lui-même une idée distincte de l’auteur en question. On ne peut tout lire, sans doute, de chaque auteur ; il n’est besoin que d’en lire assez pour bien marquer le sens de sa manière et donner, à l’auditeur qui sort de là, l’envie d’en savoir plus en recourant à l’original : mais il faut, à la rigueur, lui en avoir déjà offert et servi un assez ample choix, pour que, même sans aller s’informer au delà, il en garde un souvenir propre, et qu’il attache à chaque nom connu une idée précise. L’art de la critique, en un mot, dans son sens le plus pratique et le plus vulgaire, consiste à savoir lire judicieusement les auteurs, et à apprendre aux autres à les lire de même, en leur épargnant les tâtonnements et en leur dégageant le chemin.

Cela étant vrai, même des leçons, je ne pense pas qu’il y ait à établir au fond une différence si essentielle