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la cavalerie à un seul peloton d’escorte. Cependant le maréchal, pour toute réponse, fit le parlementaire prisonnier : quelques coups de canon tirés pendant cette espèce de négociation servirent de prétexte ; et, sans considérer les masses des ennemis et le petit nombre des siens, il ordonna l’attaque. » Cette attaque fut ce qu’elle pouvait être, désespérée, héroïque, mais on s’y brisa. Il fallut se replier et rétrograder. Qu’allait faire le maréchal ? Après une retraite d’une demi-lieue, il dirige sa troupe à gauche à travers champs. Laissons dire le témoin narrateur :

« Le jour baissait ; le 3e corps marchait en silence ; aucun de nous ne pouvait comprendre ce que nous allions devenir. Mais la présence du maréchal Ney suffisait pour nous rassurer. Sans savoir ce qu’il voulait ni ce qu’il pourrait faire, nous savions qu’il ferait quelque chose. Sa confiance en lui-même égalait son courage. Plus le danger était grand, plus sa détermination était prompte ; et, quand il avait pris son parti, jamais il ne doutait du succès. Aussi, dans un pareil moment, sa figure n’exprimait ni indécision ni inquiétude ; tous les regards se portaient sur lui, personne n’osait l’interroger. Enfin, voyant près de lui un officier de son État-major, il lui dit à demi-voix : Nous ne sommes pas bien.Qu’allez-vous faire ? répondit l’officier. — Passer le Dniéper.Où est le chemin ?Nous le trouverons.Et s’il n’est pas gelé ?Il le sera.À la bonne heure ! dit l’officier. Ce singulier dialogue, que je rapporte textuellement, révéla le projet du maréchal de gagner Orcha par la rive droite du fleuve, et assez rapidement pour y trouver encore l’armée qui faisait son mouvement par la rive gauche. »

Tout s’exécuta de point en point, ainsi que le maréchal l’avait soudainement résolu. Dans cette marche du soir à travers champs, comment se diriger ? comment atteindre au plus vite le Dniéper ? Le maréchal, « doué de ce talent d’homme de guerre qui apprend à tirer parti des moindres circonstances, » remarqua dans la plaine une ligne de glace et la fit casser pour voir le sens