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dait d’abord à l’arrière-garde, était chargé de mettre le feu partout, « et jamais ordre ne fut exécuté avec plus d’exactitude et même, de scrupule. » M. de Fezensac, en racontant, a de ces mots qui n’ont l’air de rien, qui sont discrets comme des mots de bonne compagnie, et qui disent beaucoup.

Après le premier mouvement de retraite manqué sur Kalouga, l’armée dut se rabattre sur la grande route de Smolensk toute désolée et dévastée, et repasser par les traces sanglantes qu’elle s’était faites. Dès ces premiers jours, la retraite ressemblait a une déroute. À Viasma, le 3e corps, celui de Ney, eut ordre de relever celui de Davoust à l’arrière-garde ; et, de ce moment, la tâche pénible et glorieuse de ralentir la poursuite de l’ennemi et de couvrir la marche de l’armée, fut confiée à l’homme le plus capable en cette conjoncture critique. M. de Fezensac, à la tête du 4e régiment, eut sa part dans cet honneur. On va suivre l’épisode mémorable dont il est le narrateur fidèle.

De Viasma à Smolensk on disputa le terrain pied à pied, et partout où l’on put, à Dorogobuz, à Slobpnévo, à tous les ponts du Dniéper. Ney trouvait toujours qu’on n’en faisait pas assez ; il arrivait quelquefois en tête, et prenait le fusil, comme on le voit représenté dans les estampes populaires. Aux objections que lui faisaient quelquefois les généraux de brigade, un peu mous et un peu indécis, ce semble, il répondait vivement « qu’il ne s’agissait que de se faire tuer, après tout, et que l’occasion était trop belle pour la manquer. » À Smolensk, on croyait du moins trouver un peu de repos et du pain ; mais la désorganisation et le pillage étaient partout. L’arrière-garde, arrivant la dernière parce qu’elle se battait pour tout le monde, ne trouva rien. Elle continua de lutter avec abnégation. Le colonel du 4e régi-