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c’est l’Angleterre. Ainsi, dans les luttes sanglantes des deux Roses, les malheurs de la guerre frappaient sur les nobles bien plus que sur le peuple et les gens des Communes. Il attribue cette modération jusque dans les maux à la part de gouvernement et d’action publique que les Communes se sont réservée en Angleterre. Quant au roi de France, Commynes est d’avis qu’il n’est pas plus fondé qu’aucun roi à dire : « J’ai privilège de lever sur mes sujets ce qui me plaît. » Car ce privilège, ni lui ni autre ne l’a. Les courtisans qui, par flatterie, le lui concèdent, lui font plus de tort que d’honneur. On a là d’avance, dans Commynes, la critique de ce mot de Louis XIV : L’État, c’est moi, et de cet autre mot d’un courtisan à Louis XV enfant : Tout cela est à vous. Commynes pense qu’il serait bon de tenir des États réguliers ; que ceux qui s’y opposent en élevant ces grands mots de majesté et d’autorité royale, ne le font que par des motifs personnels, parce que, n’étant que gens frivoles et propres à conter fleurette dans l’oreille, ils n’auraient pas de quoi figurer dans une grande assemblée où il faudrait discuter avec sérieux, et qu’aussi ils ont peur que leurs œuvres ne soient connues et blâmées. Il entre à ce propos dans des détails de budget, dans des chiffres ; l’habile homme sait au fond que tout en politique dépend de là. Commynes, dans ce chapitre, devance les idées réformatrices des Vauban, des d’Argenson. Si j’osais, je dirais que j’aime encore mieux ce chapitre-là qu’un chapitre analogue de Montesquieu. C’est du Montesquieu pris à sa source, au naturel. Le malheur de la France est qu’un tel gouvernement n’ait pas été constitué régulièrement quand le peuple était bon, les Communes consistantes, les grands corps de l’État animés d’un esprit de tradition, et la vitalité du royaume en son entier. Après Louis XIV, après