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flure et des grands airs, il a aidé à désabuser de bien des déclamations en vogue ; il a crevé à coups d’épingle bien des ballons. Mais surtout il est de ceux qui ont le plus contribué à guérir les jeunes générations de la maladie de René. Qu’est-ce que cette maladie ? M. Saint-Marc Girardin l’a définie mainte fois et combattue sous toutes les formes ; il l’a rencontrée et décrite particulièrement avec une expression frappante dans un jeune homme à qui saint Jean Chrysostome en son temps adressait des conseils et qui passait pour possédé du démon, dans le jeune Stagyre, premier type reconnaissable de cette famille des René et des Werther. M. Saint-Marc Girardin a comme découvert ce Stagyre, et il lui adresse à son tour beaucoup de vérités que la politesse l’empêchait alors de dire en face à René lui-même. Le démon de Stagyre, ou, ce qui revient au même, le mal de René, c’est le dégoût de la vie, l’inaction et l’abus du rêve, un sentiment orgueilleux d’isolement, de se croire méconnu, de mépriser le monde et les voies tracées, de les juger indignes de soi, de s’estimer le plus désolé des hommes, et à la fois d’aimer sa tristesse ; le dernier terme de ce mal serait le suicide. Peu de gens de nos jours se sont tués, eu égard à tous ceux qui ont songé à le faire. Mais tous, à une certaine heure, nous avons été plus ou moins atteints du mal de René. M. Saint-Marc Girardin, qui en fut toujours exempt, en a saisi les effets désastreux et les ridicules ; il n’a rien épargné pour en dégoûter la jeunesse, il y a réussi. Il n’a cessé de lui redire sur tous les tons, sur le ton de la raillerie, comme aussi sur celui de l’affection : « Ne vous croyez pas supérieur aux autres ; acceptez la vie commune ; ne faites pas fi de la petite morale, elle est la seule bonne. Le démon de Stagyre, c’est la tristesse ou plutôt le défaut d’énergie et de ressort, c’est le néant de