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souvent, leur réussit. L’aile droite, commandée par Charles, est victorieuse. Commynes se tint tout ce jour avec lui, « ayant moins de crainte, dit-il, qu’il n’en eut jamais en lieu où il se trouvât depuis ; » et il en donne la raison, de peur qu’on ne s’y méprenne : c’est qu’il était jeune et n’avait nulle connaissance du péril. Tel il se montre à Montlhéri, tel il sera plus tard à Fornoue et ailleurs, ne s’en faisant point accroire. Plein de sang-froid, il se pique très-peu pourtant d’héroïsme militaire, et il est d’avis, comme son futur maître, que « qui a le profit de la guerre, en a l’honneur. »

L’ironie de Commynes se joue dans ce premier récit ; c’est cette ironie que nous cherchons, et non l’affaire en elle-même, qui ne nous importe guère. Une aile, disions-nous, était victorieuse, une autre est enfoncée. À un certain moment, chaque parti se croit battu. Du côté du roi, il y eut un grand personnage qui s’enfuit au galop jusqu’à Lusignan (en Poitou) sans débrider ; et du côté de Bourgogne, un autre grand personnage ne s’enfuit pas moins vite jusqu’au Quesnoi (en Hainaut). Ces deux, ajoute Commynes, n’avoient garde de se mordre l’un l’autre.

On couche sur le champ de bataille, qui reste à Charles ; Commynes nous fait voir ce champ de bataille, tel qu’il était en réalité, tel qu’ils le sont tous[1], et le souper de Charles, assis sur une botte de paille, au milieu des morts et des mourants, dont l’un se réveille fort à propos pour demander un peu de tisane. On passe la nuit dans les transes, se croyant perdu si l’ennemi reparaît au matin. Le Te Deum de l’historien ressemble assez à dire : Nous l’avons échappé belle ; et il en con-

  1. Se rappeler la lettre du marquis d’Argenson à Voltaire, écrite du champ de bataille de Fontenoy {Commentaire historique… au tome I des Œuvres de Voltaire).