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ou pour mieux dire encore, et pour dire plus vrai, il croissait comme un enfant chrétien, en qui la beauté du naturel et l’effusion de la Grâce divine forment une fête mystérieuse que le cœur qui l’a connue ne peut oublier jamais. »

J’indique là les parties simples, touchantes : les grands mouvements de l’éloquence s’y mêlent à propos. Tout y est dit d’une manière nette, charmante ; tout y est senti. J’ai le regret de ne pouvoir citer encore une page admirable et pénétrante sur l’amour des Lettres. On ne peut lire tout haut cette Oraison funèbre sans qu’une larme, pour ainsi dire perpétuelle, ne vienne mouiller la paupière et entrecouper la voix.

La Révolution de février 1848 porta le Père Lacordaire à l’Assemblée nationale ; il put croire un moment qu’au milieu d’une grande œuvre commune de reconstruction il y aurait lieu quelquefois à une parole religieuse extra-parlementaire. Mais, après l’invasion du 15 mai, il donna sa démission de représentant, comprenant sans doute que, sous le coup d’un tel attentat, on allait rentrer dans les voies de la politique ordinaire, de la défense sociale méthodique, et qu’il n’y avait plus jour à tenter d’aucun côté une infusion d’esprit nouveau. Il a repris son rôle indépendant, élevé, ses Conférences, et on l’a vu avec plaisir familiariser encore son éloquence dans l’homélie, dans le prône dont il s’est chargé à la petite église des Carmes. Ces humbles instructions ont du naturel, de la grâce, et avec lui elles ne manquent jamais d’élévation. Une de ces récentes homélies a paru exhaler contre la bourgeoisie des paroles imprudentes. J’en ai entendu une autre dans laquelle je n’ai retrouvé aucun de ces tons aigus, et bien plutôt un correctif où chacun avait sa part. Mais M. Lacordaire est trop expérimenté pour ne pas comprendre qu’il y a danger, même dans l’apparence, même dans les fausses in-