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et très-fort même quand on le repousse. M. Saint-Marc Girardin m’excusera donc de lui dire, à côté de ces deux beaux noms, que, lui aussi, il est de son temps, et d’en chercher en lui la marque. Je la trouverai, cette marque, dans sa méthode même. Elle n’est pas assez simple, assez suivie ; elle fait trop de chemin en peu de temps ; comme le théâtre des romantiques, elle a ses perpétuels changements à vue. Elle dissimule l’inquiétude propre aux modernes sous la mobilité, sous une agilité sémillante et gracieuse. Les choses qu’il dit sont fines, le plus souvent judicieuses, mais elles arrivent d’une manière scintillante. Lui qui sait si bien indiquer les défauts de la cuirasse d’autrui, voilà le sien. Il a des commencements de chapitres, parfaits de ton, de tenue, de sévérité, d’une haute critique ; puis il descend ou plutôt il s’élance, il saute à des points de vue tout opposés. « Mais ce n’est point ma faute à moi, dira le critique ; je n’invente pas mon sujet, je suis obligé d’en descendre la pente, et de suivre les modernes dans ces recoins du cœur humain où ils se jettent, après que les sentiments simples sont épuisés. » — Pardon, répondrai-je encore ; votre ingénieuse critique, en faisant cela, n’obéit pas seulement à une nécessité, elle se livre à un goût et à un plaisir ; elle s’accommode à merveille de ces recoins qu’elle démasque, et dont elle nous fait sentir, en se jouant, le creux et le faux. Si ces auteurs, qui semblent avoir été mis au monde tout exprès pour lui procurer un facile triomphe, n’existaient pas, votre critique serait bien en peine, et elle n’aurait pas toute sa matière. Elle a besoin d’eux pour se donner à elle-même toute son originalité et tout son piquant, pour égayer à temps son sérieux, qui, en se prolongeant, pourrait tourner au subtil. C’est là ce que j’appelle la marque moderne en M. Saint-Marc Girardin. Il y a dans un seul de ses chapitres pro-