Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bridaine ou du Père Guénard des précédents qui n’offriraient encore que des analogies infidèles. Il faut donc reconnaître que la forme de l’abbé Lacordaire est neuve, et même romantique si l’on veut : ce n’est pas nous qui aurions droit de considérer ce mot comme une injure. Des hommes de haut talent, M. de Chateaubriand, M. de Maistre, M. de Lamennais (je ne les prends que par les ressemblances les plus générales), l’un à travers l’encens de la poésie, les autres par l’éclatante hardiesse des interprétations, avaient ressuscité pour les générations du Siècle le Christianisme, et l’avaient offert sous des aspects qui ne sont point assurément ceux auxquels nous avaient accoutumés les Fleury, les Massillon, les Bourdaloue. Cette école hardie et brillante n’avait point suscité jusque-là son prédicateur, et c’est en l’abbé Lacordaire qu’il s’est rencontré.

« L’Église, dit-il en parlant des temps de mélange et de confusion semblables aux nôtres, l’Église alors appelle à son secours une parole qu’il serait difficile de définir par des caractères constants, à cause de la variété des erreurs qu’elle doit combattre et des âmes qu’elle veut convaincre, mais qu’on peut appeler la prédication extérieure ou apostolique. » Le rôle de l’apôtre est, en effet, de convertir les infidèles, les incrédules, et au xixe siècle nous en tenons tous plus ou moins. « L’antique serpent de l’erreur, dit-il encore, change de couleurs au soleil de chaque siècle. Aussi, tandis que la prédication de mœurs ne subit guère que des diversités de style, il faut que la prédication d’enseignement et de controverse, souple autant que l’ignorance, subtile autant que l’erreur, imite leur puissante versatilité, et les pousse, avec des armes sans cesse renouvelées, dans les bras de l’immuable vérité. » Il ne s’est donc pas contenté de retremper ses armes dans les sources de la