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Cependant il avait atteint l’âge de trente ans ; il n’avait fait jusque-là que des essais et n’avait pas trouvé sa voie. Il fit plus pourtant que de l’entrevoir dans des Conférences qu’il prêcha en 1834 au collége Stanislas, et où la jeunesse s’étonna d’entendre pour la première fois en chaire une parole vive et jeune comme elle, svelte et hardie, abordant par leurs noms les idées neuves, en prenant souvent la couleur et l’accent pour les serrer de plus près et pour les rattacher par leur partie saine à l’antique tradition qui en semblait toute rajeunie. Ces Conférences effrayèrent encore l’autorité, mais cette fois l’autorité politique, l’autorité universitaire. Il y a quelque chose dans la parole de M. Lacordaire qui effraie aisément, quand on en isole quelques traits et qu’on n’en veut entendre que certains éclats. C’est à l’aide de ces qualités mêmes, que quelques-uns nommeraient des défauts, qu’il prend d’autant mieux sur la jeunesse.

Enfin, la bienveillance de l’archevêque de Paris, M. de Quélen, qui eut le mérite, par un discernement honorable du cœur plus encore que de l’esprit, d’apprécier en lui le talent et la candeur dans le talent, ouvrit à M. Lacordaire en 1835 la chaire de Notre-Dame, la première chaire de la capitale. Dès le début, celui qui avait pour vocation presque naturelle de prêcher la jeunesse du xixe siècle, cette jeunesse dont il avait été et dont, par l’accent, il ne cessera jamais d’être, se sentit en plein dans son élément. Sa parole, semblable à ces oiseaux de haut vol qui ne sont à l’aise que dans l’espace et l’étendue, avait trouvé sa région.

Les Conférences de l’abbé Lacordaire ont un caractère qui ne les rattache à rien de ce qui est réputé classique en ce genre, mais qui est singulièrement approprié à l’auditoire de ce temps-ci. Tout au plus trouverait-on dans les fragments d’éloquence que l’on connaît du Père