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Mlle  Le Couvreur ne trouva point d’abord cette histoire aussi invraisemblable qu’elle nous le semble aujourd’hui. Le comte de Saxe, de sa nature, était peu fidèle, bien que sincèrement attaché à Mlle  Le Couvreur. Il avait essayé depuis quelque temps de se pousser du côté de la duchesse de Bouillon sans y réussir. Il était pris d’un goût vif pour une chanteuse de l’Opéra. Mlle  Le Couvreur pensa vaguement qu’elle pouvait avoir quelque chose à craindre du côté de l’hôtel de Bouillon, ou du côté de l’Opéra. L’abbé entrait dans son sens en lui indiquant l’hôtel de Bouillon comme le lieu d’où venait le péril. Elle donna donc un second rendez-vous à l’abbé, consulta ses amis, et le comte de Saxe lui-même ; il fut décidé que l’abbé aurait l’air de se prêter à tout et qu’il irait prendre les pastilles aux Tuileries. Cela se fit comme on l’avait décidé. L’abbé eut les pastilles, les remit ; on les porta au lieutenant-général de police, M. Hérault. L’abbé Bouret fut arrêté dans le premier moment, les pastilles analysées. L’analyse, faite par Geoffroy, de l’Académie des Sciences, ne donna rien de décisif. J’ai sous les yeux le procès-verbal, daté du 30 juillet 1729. Quelques-unes des pastilles parurent douteuses ; mais la quantité n’était pas suffisante, disait le chimiste, pour permettre de constater les expériences et d’asseoir un jugement. Cependant l’affaire tout à coup s’ébruita, et l’on dit dans le public que la duchesse de Bouillon avait tenté d’empoisonner Mlle  Le Couvreur. L’abbé Aunillon du Gué de Launay, ami des Bouillon, dans les Mémoires plus intéressants que connus qu’il a laissés, nous raconte que ce fut lui qui le premier informa la duchesse de cette odieuse rumeur, afin qu’elle eût à la conjurer. Il nous peint en termes naturels l’étonnement et la douleur qu’elle témoigna à cette première nouvelle. Cette duchesse de Bouillon, disons-le