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sonne si attendue : le comte de Saxe revenait, à cette date, d’un de ses voyages de Courlande à Paris.

La dernière année de la vie de Mlle Le Couvreur fut troublée par une étrange aventure qui a autorisé le bruit d’empoisonnement. Je tâcherai de dégager le récit de cette histoire des rumeurs populaires qui s’y sont mêlées, et qu’on peut lire reproduites dans les Lettres de Mlle Aïssé et dans le Journal de l’avocat Barbier. Vers le mois de juillet 1729, un petit abbé bossu et peintre en miniature, l’abbé Bouret, fils d’un trésorier de France à Metz, se présenta deux fois chez Mlle Le Couvreur, et, ne l’ayant pas trouvée, il laissa pour elle une lettre dans laquelle il lui disait qu’il avait des choses importantes à lui révéler, et que, si elle en voulait être informée, elle n’avait qu’à venir le lendemain dans une allée solitaire du Luxembourg qu’il lui désigna ; que là, à trois coups qu’il frapperait sur son chapeau, elle le reconnaîtrait et pourrait tout apprendre de lui. Mlle Le Couvreur, après avoir pris conseil de ses amis, se rendit au lieu indiqué en se faisant accompagner. Elle y trouva le petit bossu, qui lui dit en substance qu’une dame de la Cour dont il faisait la miniature lui avait proposé de s’introduire chez Mlle Le Couvreur comme peintre, et de lui donner un philtre qui éloignerait d’elle le comte de Saxe ; que, là-dessus, deux personnes masquées, à qui il avait eu affaire pour le détail de l’exécution, lui avaient déclaré qu’il ne s’agissait pas d’un philtre, mais bien d’un poison ; qu’à cet effet on déposerait, à un certain jour, dans un if des Tuileries, des pastilles empoisonnées ; que l’abbé les irait prendre, et que, s’il les donnait à Mlle Le Couvreur, on lui assurait 600 livres de pension et une somme de 6,000 livres. L’abbé ajoutait qu’il avait paru consentir à tout, et qu’il venait demander ce qu’il devait faire.