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tuellement sur les détails. Quel plus exact et plus souverain classificateur qu’Aristote ? C’est l’analyse et presque la loi littéraire dans sa perfection rigoureuse et son excellence. La critique, à ce degré, est devenue une magistrature, et ses arrêts ont pu sembler à quelques-uns une religion. Même dans la décadence de l’art, des rhéteurs tels que Longin (ou celui qu’on a désigné sous ce nom) ont une justesse sévère et d’admirables développements. La critique de détail, en ce qui concernait les moindres artifices de style et de diction, prenait chez les anciens une importance dont personne ne songeait à se railler. Le nom d’Aristarque, le maître en ce genre de sagacité grammaticale, est passé en circulation à l’état de type, et signifie l’oracle même du goût. Cette tradition respectueuse de la critique se retrouve tout entière chez les Latins. Dans l’intervalle des fonctions publiques, dans les courtes trêves des tempêtes civiles, Cicéron écrivait, sans croire déroger, des traités de rhétorique. Horace, dans ses vers, a résumé toute la substance et la fleur de l’ancienne critique ; en vraie abeille qu’il est, il en a fait un miel aussi agréable que nourrissant. Lors même que la décadence du goût est déjà avancée, quand Tacite (ou tout autre) écrivait ce Dialogue des Orateurs, où toutes les opinions, même celles des romantiques du temps, sont représentées, l’agrément et la raillerie ne nuisaient pas au sérieux ; aucun système, n’est sacrifié dans cet excellent dialogue, et chaque côté de la question est défendu tour à tour avec les meilleures raisons et les plus valables. Le nom de Quintilien suffit pour exprimer, dans l’ordre critique, le modèle du scrupuleux, du sérieux, de l’attentif, l’idée du jugement même. Que si l’on passe aux rhéteurs modernes, à ceux des bons et grands siècles, on descend de haut ; la critique, en ces belles époques,