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-esprit, parce que sa maison était « la seule, à un petit nombre d’exceptions près, dit Fontenelle, qui se fût préservée de la maladie épidémique du jeu, la seule où l’on se trouvât pour s’entretenir raisonnablement les uns les autres, et même avec esprit selon l’occasion. »

La maison de Mlle Le Couvreur, à certains jours, devait être du petit nombre de celles où l’esprit et la raison avaient chance de se rencontrer. Elle habitait, rue des Marais-Saint-Germain, une petite maison où l’on disait que Racine avait demeuré, et que Mlle Clairon occupa depuis. Une fortune considérable pour le temps, et qui montait, dit-on, à plus de trois cent mille livres, lui procurait une honorable indépendance. Les jours où elle n’était pas trop envahie par les duchesses et par les personnes de bel air, Mlle Le Couvreur se plaisait à recevoir ses amis :

« Ma vanité, disait-elle, ne trouve point que le grand nombre dédommage du mérite réel des personnes ; je ne me soucie point de briller ; j’ai plus de plaisir cent fois à ne rien dire, mais à entendre de bonnes choses, à me trouver dans une société de gens sages et vertueux, qu’à être étourdie de toutes les louanges fades que l’on me prodigue à tort et à travers. Ce n’est pas que je manque de reconnaissance ni d’envie de plaire ; mais je trouve que l’approbation d’un sot n’est flatteuse que comme générale, et qu’elle devient à charge quand il la faut acheter par des complaisances particulières et réitérées. »


Elle se privait donc, le plus qu’elle pouvait, de l’approbation des sots, et s’en tenait à celle des amis. Ces amis honnêtes gens qu’elle préférait à tout, c’étaient Fontenelle, Du Marsais, Voltaire, d’Argental, le comte de Caylus, un abbé d’Anfreville, le comte de Saxe et quelques hommes de l’intimité de celui-ci, tels que le marquis de Rochemore. On peut y joindre une ou deux