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qu’on se sent d’abord disposé à aimer et à venger. Que dire encore ? elle est de celles qui, vivantes, ont eu le charme, et, ce qui n’est donné qu’à bien peu, le je ne sais quoi du charme a survécu : il continue d’opérer après elle.

Je voyais dernièrement le drame plein d’action dans lequel deux hommes de talent (et l’un d’eux le plus habile ingénieur dramatique de notre âge) ont reconstruit et remis en jeu sa mémoire[1] : ils ont conçu le rôle au point de vue d’une grande actrice, l’Adrienne de nos jours, en le lui appropriant par d’heureux traits. Malgré tout, ce ne serait pas une raison suffisante pour moi de m’immiscer à ces choses de théâtre et de venir empiéter sur un domaine qui n’est pas le mien, si je ne me trouvais informé de certains documents nouveaux, de pièces originales, relatives à l’affaire de l’empoisonnement, et aussi de quelques lettres inédites qui font honneur à cette personne remarquable par l’esprit et la droiture comme par le talent. Un de mes amis, bibliophile avec passion et avec choix, a ressenti, à l’égard de mademoiselle Le Couvreur, ce je ne sais quoi du charme dont j’ai parlé ; il s’est mis à rechercher curieusement ce qui restait d’elle, et, comme il a la main heureuse, il a trouvé de quoi ajouter sur quelques points à ce qu’on savait déjà. En attendant cette prochaine publication que prépare M. Ravenel, et en me souvenant du drame intéressant qu’on applaudit encore, il me sera donc permis de m’arrêter un instant sur ce sujet d’Adrienne Le Couvreur comme pour un à-propos.

Adrienne était née vers 1690, à Fismes, entre Soissons et Reims. Son père, chapelier de son état, transplanta,

  1. Le drame d'Adrienne Le Couvreur, par MM. Scribe et Legouvé, où Mlle Rachel a le principal rôle.