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le vieux cheykh, et le coup de poignard du fanatisme s’ensuivit.

Je ne saurais dire combien me paraît intéressant tout ce chapitre par le jour qu’il jette sur le procédé politique de Napoléon, sur le point fixe de sa croyance supérieure (croyance en Dieu), sur son indifférence profonde pour les articles secondaires et sur l’importance extrême qu’il affectait pourtant d’y attacher, en un mot, sur la règle de conduite qu’il regardait évidemment comme la seule loi des chefs d’empire, puisqu’il nous l’expose en termes si nets et si peu voilés. C’est une haute leçon de politique ; il est seulement curieux que ce soit celui qui l’a pratiquée à ce degré, qui nous la divulgue avec cette sorte d’indiscrétion ou de franchise. L’analyse a tellement pénétré partout aujourd’hui, que, lui aussi, il ne peut s’empêcher de dire ce qu’il a fait et pourquoi il l’a fait. Mahomet ou Cromwell y auraient regardé à deux fois avant de livrer ainsi leurs motifs. On saisit à nu, dans ce chapitre, l’œuvre d’une vieille société en reconstruction sous une main puissante, une vieille civilisation avec ses pièces essentielles, hardiment remise, comme un vaisseau de haut bord, sur le chantier. Napoléon, du premier coup, a compris que la majorité de toute société est neutre et ne demande qu’à subsister et à se soumettre, si elle est garantie dans ses croyances et dans ses intérêts. En s’adressant à ces chefs arabes, à ces ulémas et docteurs révérés, à ces honnêtes gens du pays, en essayant auprès d’eux sa politique de ménagement et de réparation pour ces grands intérêts de toute société, la religion, la propriété, la justice, le jeune conquérant se faisait la main pour ce qu’il devait accomplir ailleurs de bien plus délicat. Il faisait sa première expérience sur des nations moins avancées que la nôtre. Bientôt il nous reviendra tout exercé. Le