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l’heure de la prière. La place d’Ezbékiéh tout entière était encombrée de leur cortège. Ils arrivaient sur leurs mules richement harnachées, environnés de leurs domestiques et d’un grand nombre de bâtonniers. Les corps-de-garde français prenaient les armes et leur rendaient les plus grands honneurs. Parvenus dans les salles, des aides-de-camp et des interprètes les recevaient avec respect, leur faisaient servir des sorbets, du café. Peu d’instants après, le général entrait, s’asseyait au milieu d’eux, sur le même divan, et cherchait à leur inspirer de la confiance par des discussions sur le Coran, s’en faisant expliquer les principaux passages et montrant une grande admiration pour le Prophète. En sortant de ce lieu, ils allaient aux mosquées où le peuple était assemblé. Là, ils lui parlaient de toutes leurs espérances, calmaient la méfiance et les mauvaises dispositions de cette immense population. Ils rendaient des services réels à l’armée. »

Ce qui est là résumé en une page, se trouve développé et confirmé en mille manières dans le courant du récit. L’administration française eut ordre de respecter les propriétés des mosquées, des fondations pieuses. Les chefs de la population arabe, qui étaient à la fois ceux de la religion, recouvrèrent l’autorité que leur avaient ravie Turcs et Mameloucks ; il semblait que les Français ne fussent venus que pour eux. Depuis la Révolution, l’armée française ne pratiquait aucun culte ; elle n’avait pas fréquenté les églises en Italie, elle ne les fréquentait pas davantage en Égypte. Cette circonstance n’échappa point aux docteurs musulmans, et, voyant que ces nouveaux venus n’étaient pas du moins des idolâtres, ils espérèrent bientôt d’en faire des fidèles. Le Sultan Kébir ou grand (comme ils nommaient Bonaparte) se prêta à cette espérance des docteurs ; il ne cessait de causer avec eux du Coran, comme s’il eût voulu se faire instruire. Il ne demandait qu’un an pour amener à ses vues son armée. « Il fit faire les plans et les devis d’une mosquée assez grande pour contenir toute l’armée, le jour où elle reconnaîtrait la loi de Mahomet. » Ce n’é-