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canon. » Il oppose ce principe à d’autres généraux qui, en pareil cas, ont perdu plusieurs jours, et ont manqué l’occasion pour vouloir trop bien s’y préparer. Mais, pour se servir ainsi de la foudre à défaut de canon, il n’y a qu’un moyen sûr, c’est d’être la foudre soi-même.

Le chapitre le plus remarquable des deux volumes est assurément celui qui traite des affaires religieuses. Il y donne au début son explication de la religion de Moïse et de Jésus-Christ, de celle de Mahomet. Cette explication tout historique, et qui ne choque d’ailleurs rien de sacré, est grande. Mais, dans l’application, la raison d’État, en Égypte, le fait incliner sans scrupule du côté de Mahomet. Les politiques qui avaient le mieux observé le génie du peuple d’Égypte, regardaient la religion comme le principal obstacle à l’établissement de l’autorité française. C’est cet obstacle que Napoléon s’attache surtout à vaincre et à tourner à son avantage. Comment il s’y prit à cet effet, par quelles précautions, par quels artifices de langage et quel appareil de conduite, il faut l’entendre là-dessus lui-même. Il nous dit tout et n’y met pas de fausse retenue. À la hauteur où il se place, et d’après la façon dont il parle, il est évident qu’il voit dans cette conduite non pas imposture, mais habileté légitime :

« L’école ou la Sorbonne de Gama-el-Azhar est la plus célèbre de l’Orient. Elle a été fondée par Saladin. Soixante docteurs ou ulémas délibèrent sur les points de la foi, expliquent les saints livres. C’était elle seule qui pouvait donner l’exemple, entraîner l’opinion de l’Orient et des quatre sectes qui la partagent. Ces quatre sectes ne diffèrent entre elles que sur des objets de discipline ; elles avaient chacune pour chef, au Caire, un muphti. Napoléon n’oublia rien pour les circonvenir, les flatter. C’étaient des vieillards respectables par leurs mœurs, leur science, leurs richesses et même par leur naissance. Tous les jours, au soleil levant, eux et les ulémas de Gama-el-Azhar prirent l’habitude de se rendre au palais avant