Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des images utiles et qui figurent un résultat. « Les Arabes Bédouins sont la plaie la plus grande de l’Égypte. Il ne faut pas en conclure qu’on doive les détruire ; ils sont, au contraire, nécessaires. Sans eux, ce beau pays ne pourrait entretenir aucune communication avec la Syrie, l’Arabie, les Oasis… Détruire les Bédouins, ce serait, pour une île, détruire tous les vaisseaux, parce qu’un grand nombre sert à la course des pirates. » Ailleurs, il nous présentera les colonnes françaises dans leur marche, enveloppées, harcelées par ces Bédouins du désert : « Elles semblaient des escadres suivies par des requins. » Tel est son pittoresque, toujours sobre et vrai. Quand il a du pittoresque pur, ce n’est qu’un mot jeté en passant. Ainsi, pendant la nuit du débarquement de l’armée à Alexandrie : « La lune brillait de tout son éclat. On voyait comme en plein jour le sol blanchâtre de l’aride Afrique. » Ainsi, à Gizeh, au moment de l’incendie de la flottille égyptienne : « Pendant toute la nuit, au travers des tourbillons de flammes des trois cents bâtiments égyptiens en feu, se dessinaient les minarets du Caire. La lueur se réfléchissait jusque sur les parois des Pyramides. » Mais ce ne sont que des éclairs qui ne ralentissent rien à l’action. Seulement, quand il parle des Mameloucks et de leurs manœuvres, de cette brave et belle milice, comme il l’appelle, il a des pages presque descriptives : il semble se complaire, avant de les combattre, à les voir se déployer.

On citerait tel endroit où l’image se lie si étroitement à la pensée qu’elle n’en est pas séparable et qu’elle n’est autre que l’idée même. À peine débarqué, Napoléon se porte sur Alexandrie et donne l’assaut avec seulement une poignée de son monde, et sans attendre son canon : « C’est un principe de guerre, dit-il, que lorsqu’on peut se servir de la foudre, il la faut préférer au