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La prise de Malte ne retarda la marche de l’armée que de dix jours. Cette armée ne savait encore où on la menait. Il fut connu qu’on se dirigeait d’abord sur Candie. « Cette célèbre Crète excita toute la curiosité française. » Mais les opinions se partagèrent sur la destination ultérieure : « Allait-on relever Athènes ou Sparte ? Le drapeau tricolore allait-il flotter sur le Sérail, ou sur les Pyramides et les ruines de l’antique Thèbes ? Ou allait-on d’Alep se diriger sur l’Inde ? » En exposant de la sorte les incertitudes, il semble que Napoléon lui-même, au plus haut de son rêve, se complaise à les laisser planer, et que, dans son dessein préconçu de commencer par une de ces choses, il les embrasse toutes dans le lointain à la fois.

Le deuxième chapitre offre une large et précise description de l’Égypte considérée sous tous ses aspects. Le génie colonisateur est en présence de son objet ; il le saisit dans son ensemble et dans les moindres détails ; il l’organise. Ce n’est pas ici quelqu’un qui veuille décrire les choses pour les peindre et s’en amuser ; s’il les décrit, c’est pour les connaître à fond et s’en servir. J’aime les peintres et les poëtes, et ce n’est pas moi, certes, qui voudrais les amoindrir ; mais je ne puis m’empêcher de noter les différences. Un grand peintre, un grand poëte descriptif, Chateaubriand, voyage, quelques années après, en Orient, pour y chercher des couleurs. Il revient de la Grèce et de Jérusalem ; il aborde en Égypte, il remonte jusqu’au Caire ; mais l’inondation du Nil l’arrête. Il faudrait attendre quelques jours pour que les eaux, en se retirant, lui permissent de visiter de près les Pyramides. Il n’a pas cette patience d’attendre. Et que lui importe ? « L’Égypte, dit Eudore dans les Martyrs, toute brillante d’une inondation nouvelle, se montre à nos yeux comme une génisse féconde qui vient