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veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde… vous y trouverez honneur, gloire et richesse. Soldats d’Italie, manqueriez-vous de courage ou de constance ? » ce jour-là, il trouva d’instinct l’éloquence militaire dont il est le modèle ; il inventa la harangue à l’usage de la valeur française et faite pour l’électriser. Henri IV avait eu des traits d’esprit, des saillies heureuses que répétaient Grillon et les gentilshommes ; mais, ici, il fallait une éloquence à la hauteur nouvelle des grandes opérations, à la mesure de ces armées sorties du peuple, la harangue brève, grave, familière, monumentale. Du premier jour, au nombre de ses moyens de grande guerre, Napoléon trouva celui-là.

Chacun de ses pas désormais est marqué par une parole, par un de ces mots historiques qu’on retient parce qu’il est éclairé de gloire. Il a l’à-propos grandiose ; il devine dans le passé ce qu’il faut savoir ; il ne prend de l’histoire que ce qui s’appareille à lui. Annibal, les légions romaines, Alexandre, il les cite au moment qu’il faut, et n’en abuse pas ; ce sont choses à lui familières. Arrivant à Toulon, en mai 98, pour prendre le commandement de l’armée d’Orient, il disait dans son ordre du jour : « Soldats, vous êtes une des ailes de l’armée d’Angleterre… Les légions romaines, que vous avez imitées, mais pas encore égalées, combattaient Carthage tour à tour sur cette même mer et aux plaines de Zama. » Mais, en s’embarquant pour l’Égypte, c’était moins encore l’étoile de Scipion qui le guidait que celle d’Alexandre.

Les deux volumes présents, qui traitent de l’expédition d’Égypte et de Syrie, ajoutent beaucoup à ce qui avait été dit de cette entreprise dans les Mémoires de Napoléon, précédemment publiés. Le ton du récit est celui de l’histoire développée et complète. Cette fois,