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n’a rien de tel ; il est simple et nu. Son style militaire offre un digne pendant aux styles les plus parfaits de l'antiquité en ce genre, à Xénophon et à César. Mais, chez ces deux capitaines si polis, la ligne du récit est plus fine, ou du moins plus légère, plus élégante. Napoléon est plus brusque, je dirais plus sec, si de temps en temps les grands traits de son imagination ne faisaient clarté. Il a reçu, on le sent, une éducation moins attique, et il sait plus d’algèbre que ces deux illustres anciens. Sa brièveté a un cachet de positif. En général, la volonté se marque dans son style. Pascal, dans les immortelles Pensées qu’on a trouvées chez lui à l’état de notes, et qu’il écrivait sous cette forme pour lui seul, rappelle souvent, par la brusquerie même, par cet accent despotique que Voltaire lui a reproché, le caractère des dictées et des lettres de Napoléon. Il y avait de la géométrie chez l'un comme chez l’autre. Leur parole, à tous deux, se grave à la pointe du compas, et, certes, l’imagination non plus n’y fait pas défaut.

Ai-je besoin d’ajouter que ma comparaison ne va pas au delà ? Si simple que soit le style de Pascal, et quoiqu’on ait eu raison de dire que, « rapide comme la pensée, il nous la montre si naturelle et si vivante, qu’il semble former avec elle un tout indestructible et nécessaire, » ce style, dès qu’il se déploie, a des développements, des formes, du nombre, tout un art dont le secret n’est pas celui du héros qui court à sa conquête. Napoléon, en dictant, ne pense pas seulement, il agit ; ou, quand il se souvient, il a tant de choses à ressaisir, qu’il les presse dans le moindre espace. Napoléon en est resté au point où le style, la pensée et l’action se confondent. Chez lui, le style proprement dit n’a pas le temps de se détacher.

C’est le lecteur qui, à la réflexion, fait ce travail aujourd’hui. Du vivant de Napoléon, l’action couvrait tout ;